Technologies de “planet health” : comment la tech peut (vraiment) aider la planète
Satellites, IA, agriculture régénérative, climat et santé : comment les technologies de “planet health” contribuent à la durabilité sans tomber dans le greenwashing.
Tout le monde parle de “green tech”, mais un autre terme s’impose de plus en plus : planetary health ou “planet health”.
L’idée : mesurer et protéger la santé de la planète et de nos sociétés en même temps – climat, biodiversité, eau, air, mais aussi santé humaine et justice sociale.
Selon la Planetary Health Alliance, la “planetary health” désigne la santé des civilisations humaines et l’état des systèmes naturels dont elles dépendent (Planetary Health Alliance, The Lancet Planetary Health, JHU Public Health).
La bonne nouvelle : la tech peut vraiment aider. La mauvaise : sans vigilance éthique, on peut facilement basculer dans le techno-solutionnisme, la surveillance de masse… ou le greenwashing.
Dans cet article, on voit comment les technologies de “planet health” contribuent à la durabilité, avec des exemples concrets, et où se jouent les enjeux de data & d’éthique.
1. C’est quoi une technologie de “planet health” ?
On peut résumer la “planet health tech” en trois questions :
- Est-ce que la technologie améliore la compréhension de l’état de la planète (climat, biodiversité, ressources, santé) ?
- Est-ce qu’elle aide à réduire ou réparer nos impacts (émissions, pollution, déforestation, etc.) ?
- Est-ce qu’elle le fait de manière équitable (pas seulement pour quelques pays riches ou grandes entreprises) ?
Le rapport 2025 du World Economic Forum sur les 10 Emerging Technology Solutions for Planetary Health met en avant plusieurs familles de solutions :
- Earth observation + IA pour suivre l’état des sols, des forêts, de l’eau, des villes.
- Agritech régénérative pour une agriculture plus sobre en eau et en intrants.
- Technos bas carbone : green concrete, green ammonia, méthane capture, géothermie modulaire, etc. (WEF, Frontiers).
- Upcycling automatisé des déchets (alimentaires, industriels).
On va se concentrer sur les briques les plus “data-driven” : satellites, IA, IoT, plateformes de données… et ce que ça implique en termes d’éthique.
2. Observer la planète en haute résolution : satellites, drones & IA
2.1. Les “yeux” de la planète
Les technologies d’Earth Observation (EO) – satellites, drones, capteurs au sol – sont devenues un pilier de la planetary health :
- Suivi de la déforestation, des incendies, de la fonte des glaces, des inondations.
- Mesure de la végétation, de l’humidité des sols, des changements d’usage des terres.
- Surveillances des villes (îlots de chaleur, pollution, expansion urbaine).
Les nouveaux rapports montrent que, grâce à la fusion satellites + drones + capteurs terrain + IA, on obtient maintenant des résolutions métriques sur des paramètres-clés : précipitations, humidité des sols, santé de la végétation, dynamiques de land use (Nature Climate Adaptation, Mongabay, CEOI / UK Earth Observation).
L’UE insiste aussi sur le rôle de l’EO pour le climat, la biodiversité et la santé publique (Horizon Magazine, CSIRO – Five EO solutions, WEF – EO et climat).
2.2. De la donnée brute à la décision
La vraie révolution vient de l’IA :
- Classification automatique d’images satellites (forêt / culture / ville / eau, etc.).
- Détection de micro-changements (défrichement illégal, irrigation abusive, zones à risque d’incendie).
- Modèles qui prédisent l’évolution de certains paramètres (sécheresse, inondations, risques sanitaires liés au climat) en combinant images, météo, modèles physiques.
Des travaux récents sur la “digital science for climate action and planetary health” montrent comment IA, géospatiale et observation de la Terre forment une sorte de système nerveux planétaire pour le climat et la biodiversité (chapitre ResearchGate).
👉 Sur le papier : plus de données, mieux agrégées, plus vite → des décisions plus réactives.
Reste à voir qui contrôle ces données et pour quoi elles sont utilisées (on y revient en partie 6).
3. Agriculture régénérative & gestion de l’eau : l’IA dans les champs
L’agriculture est au centre de la planetary health : elle joue sur le climat, la biodiversité, l’eau, la santé humaine.
Bonne nouvelle, beaucoup d’innovations IA se concentrent là-dessus.
3.1. Irrigation intelligente & optimisation de l’eau
Des startups comme Kilimo ou des dizaines d’acteurs référencés par Omdena et NatureTech Memos combinent :
- données satellites,
- prévisions météo,
- capteurs IoT (humidité du sol, stations météo locales),
- modèles de machine learning,
pour recommander quand et combien irriguer. Résultat : baisse de consommation d’eau, meilleure résilience face aux sécheresses.
Des études soulignent qu’on peut réduire fortement la consommation d’eau en gardant – voire en augmentant – les rendements, si ces systèmes sont bien déployés (TraceX sur remote sensing, AgriNext sur agtech durable).
3.2. Agriculture régénérative & “nature tech”
Au-delà de l’irrigation :
- analyse fine de la santé des sols (couverture végétale, carbone, humidité) via EO + IA ;
- outils d’aide à la transition vers des pratiques régénératives (rotation des cultures, couverture permanente, agroforesterie) (Omdena, HackSummit – NatureTech solutions) ;
- plateformes comme Amini AI en Afrique, qui combinent imagerie satellite, IA et IoT pour suivre déforestation, eau et biodiversité.
Pour les agriculteurs, ça se traduit par :
- moins d’intrants,
- plus de résilience,
- possibilité de monétiser des pratiques “climate-smart” (crédits carbone, labels, etc.).
4. Climat & santé : vers une “public health” pilotée par la data
La planetary health ne sépare pas environnement et santé humaine : les deux sont profondément liés (Planetary Health Alliance, PMC – Planetary health & modern era).
4.1. Early warning climatique & sanitaire
Le concept de “Climate-Smart Public Health” propose d’utiliser :
- données satellites,
- modèles climatiques,
- IA et systèmes d’alerte,
pour anticiper les impacts sanitaires des événements climatiques (canicules, sécheresses, inondations, algues toxiques, maladies vectorielles, etc.).
Harvard détaille comment, à Madagascar, des systèmes combinant télédétection & IA ont permis de prédire des sécheresses et des blooms algaux, déclenchant des alertes ciblées sur l’alimentation et la santé (Harvard C-CHANGE).
La littérature scientifique sur l’IA et la santé environnementale explose : revue sur l’IA en santé environnementale et la nécessité de cadres d’évaluation robustes (Springer – AI in Environment and Human Health), articles sur les liens environnement-santé dans la planetary health (The Lancet Planetary Health).
4.2. Digital health & durabilité
Autre aspect : digitaliser la santé peut réduire et augmenter l’impact environnemental selon la manière dont on le fait.
Une revue dans le Journal of Medical Internet Research analyse comment la santé numérique (télémédecine, dossiers électroniques, applis) peut aligner ou non les systèmes de santé avec les objectifs de la planetary health :
- moins de déplacements,
- mais plus de consommation serveur si ce n’est pas optimisé (JMIR – digitalisation & planetary health).
5. Mesurer le carbone et la biodiversité : IA pour le climat & la nature
Pour rester dans les limites planétaires, il faut mesurer :
émissions, puits de carbone, intégrité de la biosphère…
5.1. IA pour le climat, le carbone, les forêts
De nombreuses startups IA se focalisent sur :
- la mesure et la vérification des émissions ;
- le suivi des forêts et des puits de carbone ;
- la détection de fuites (méthane, industries, décharges, etc.).
Un panorama récent présente des startups IA pour le climat qui suivent la déforestation, la dégradation des forêts ou l’état des mangroves via imagerie et modèles ML (CarbonCredits.com, NVIDIA – climate AI startups).
5.2. De la métrique à l’action
Ces outils nourrissent :
- les marchés carbone (qualité des crédits, intégrité des projets),
- les engagements “nature positive” des entreprises,
- les politiques publiques (zones à protéger, subventions…).
Mais là encore, on touche très vite à l’éthique de la donnée : qui produit la métrique ? pour quel usage ? quelles garanties de transparence ?
6. Datas & éthique : les zones rouges à surveiller
On arrive au cœur de la question “datas & éthique technologique”.
Les technologies de planet health sont puissantes – mais elles soulèvent au moins cinq gros enjeux.
6.1. Surveiller la planète… et les gens ?
Quand on dispose de :
- données satellites à résolution métrique,
- capteurs IoT partout (champs, villes, océans),
- modèles d’IA capables de croiser tout ça,
la tentation est forte d’utiliser ces infos pour surveiller aussi les comportements humains (agriculteurs, collectivités, communautés locales).
Risques :
- glissement d’un suivi environnemental vers une surveillance des populations (qui coupe, qui brûle, qui irrigue “trop”) ;
- décisions prises “depuis le ciel” sans consultation locale (fermeture de zones de pêche, restrictions d’usage, etc.).
Les acteurs sérieux de la planetary health rappellent la nécessité d’ancrer ces technologies dans des approches participatives, équitables et transparentes (Planetary Health Alliance, BioScience – Planetary health paradigm shift).
6.2. Biais de données & angles morts
La plupart des jeux de données :
- couvrent mieux les pays riches que les pays pauvres ;
- sont plus denses sur les zones “économiquement intéressantes” ;
- peuvent refléter des biais (qualité, fréquence, saisonnalité).
Résultat :
les modèles de risque, de priorisation ou de “score” environnemental peuvent défavoriser des régions déjà vulnérables simplement parce qu’elles sont moins bien instrumentées.
6.3. Souveraineté & gouvernance des datas
Autre sujet chaud : qui contrôle les données et les modèles ?
- Satellites opérés par une poignée d’agences publiques et de grands groupes privés.
- Clouds, pipelines de données, modèles IA hébergés chez quelques hyperscalers US/asiatiques.
- Données locales (agriculteurs, villes, citoyens) souvent agrégées dans des plateformes privées.
Pour des enjeux aussi critiques que l’eau, la nourriture, le climat, la santé, l’UE et l’OMS poussent à des approches :
- open data (au moins pour une partie des données environnementales),
- gouvernance multi-acteurs (États, scientifiques, société civile, communautés locales),
- cadres éthiques et réglementaires explicitement reliés à la planetary health (Planetary Health Alliance, WHO / planetary health glossaries via JSTOR).
6.4. Empreinte environnementale du numérique
Paradoxe :
on utilise de l’IA et des data centers très gourmands en énergie pour “sauver la planète”.
Les travaux sur IA, climat et santé environnementale insistent sur :
- la nécessité de mesurer l’empreinte carbone des modèles et infrastructures,
- le recours à des infrastructures plus sobres et décarbonées,
- l’optimisation des modèles (taille, fréquence d’entraînement) (Springer – AI & Environment and Human Health).
Autrement dit : une technologie de “planet health” qui repose sur un cloud ultra-carboné et du surdimensionnement constant risque d’être un faux bon plan.
6.5. Techno-solutionnisme & greenwashing
Dernier point : ces technos peuvent servir de vitrine “green” sans changer les fondamentaux :
- une entreprise affiche un tableau de bord satellite incroyable… mais continue à déforester à grande échelle ;
- une ville installe des capteurs partout, mais ne finance pas les politiques publiques qui vont avec.
Le rapport du World Economic Forum insiste :
aucune technologie, seule, ne “sauvera” la planète.
Il faut repenser les modèles économiques, pas juste brancher plus de capteurs.
7. Comment utiliser la “planet health tech” de façon responsable ?
Si tu es dans une collectivité, une startup ou une grande boîte et que tu touches à ces sujets, quelques principes simples peuvent aider :
- Commencer par le besoin réel
- Quel problème écologique ou sanitaire concret veux-tu résoudre ?
- Comment la communauté locale le formule-t-elle elle-même ?
- Rendre les données compréhensibles et partageables
- Ouvrir ce qui peut l’être (formats, API, documentation).
- Éviter les modèles complètement opaques pour des décisions à fort impact.
- Impliquer les personnes concernées
- Agriculteurs, habitants, collectivités, ONG…
- Les associer à la définition des indicateurs, aux seuils d’alerte, aux décisions.
- Documenter l’empreinte de ta solution
- Hébergement, énergie, fréquence de mise à jour des modèles.
- Dire clairement comment tu compenses (ou mieux : comment tu réduis).
- Prévoir un “plan B” non technologique
- La tech aide à décider… mais elle n’est pas la seule réponse.
- S’assurer qu’on ne bloque pas les alternatives low-tech ou sociales (gestion communautaire, changements de pratiques, etc.).
8. En résumé : une tech qui soigne la planète… si on la cadre bien
Les technologies de “planet health” ouvrent un champ énorme :
- Observation de la Terre ultra-précise,
- Agriculture plus régénérative et sobre,
- Santé publique plus résiliente au climat,
- Mesure plus fine du carbone et de la biodiversité.
Mais elles viennent avec des questions lourdes :
- Surveillance vs protection,
- Dépendance vs souveraineté,
- Sobriété vs surenchère data & IA.
La planetary health rappelle une chose simple :
il ne suffit pas d’ajouter de la tech par-dessus un système non durable – il faut transformer le système, et utiliser la tech comme levier, pas comme cache-misère.
Sources
- Planetary Health Alliance – What is Planetary Health?
- The Lancet Planetary Health – Welcome to The Lancet Planetary Health
- Johns Hopkins – Planetary Health Aims to Help Humans by Helping Earth
- World Economic Forum – 10 Emerging Technology Solutions for Planetary Health
- WEF Story – Planet under pressure: 10 emerging tech solutions to watch
- Mongabay – Report identifies ten emerging tech solutions to enhance planetary health
- Frontiers – WEF and Frontiers unveil top technologies to accelerate global climate and planetary health solutions
- Nature Climate and Atmospheric Science – Earth observations for climate adaptation
- Horizon Magazine (UE) – Eyes in the sky: making Earth observation data work for people
- CSIRO – Five Earth observation solutions for a healthier planet
- Harvard C-CHANGE – Climate-Smart Public Health
- Springer – Artificial Intelligence in Environment and Human Health
- JMIR – Aligning With the Goals of the Planetary Health Concept
- The Sustainable Agency – 8 startups using AI for good social & environmental impact
- Omdena – Top companies transforming regenerative farming
- AgriNext – Technology in Sustainable Agriculture
- NatureTech Memos – Top trends investors are excited about in NatureTech in 2025
- CarbonCredits.com – Top 6 AI-powered companies for climate and nature
- NVIDIA – Climate-tech AI startups
- ResearchGate – Digital science for climate action and planetary health
- BioScience – Planetary health: The need for a paradigm shift