IA et futur du travail : comment l’intelligence artificielle rebat les cartes des jobs et des compétences
30 % des travailleurs européens utilisent déjà l’IA. Quels métiers sont exposés, quelles compétences deviennent clés et comment rester employable à l’ère de l’IA ?
En 2023–2024, on se demandait encore “est-ce que l’IA va tuer nos jobs ?”.
En novembre 2025, la question a clairement changé :
Comment on réorganise le travail, les compétences et les carrières dans un monde où 30 % des travailleurs européens utilisent déjà l’IA au quotidien ?
Selon le Centre commun de recherche de la Commission européenne, 30 % des travailleurs de l’UE déclarent utiliser des outils d’IA au travail, principalement des assistants conversationnels et outils génératifs, et 9 sur 10 utilisent au minimum des outils numériques classiques (PC, smartphone, logiciels bureautiques) pour travailler.
Source : JRC – Impact of digitalisation: 30% of EU workers use AI.
Dans cet article, on fait le point sur :
- ce que montrent les derniers rapports (OCDE, WEF, Commission européenne, McKinsey…) ;
- les types d’emplois et de compétences les plus exposés ;
- et ce que ça implique très concrètement pour ta carrière et pour les boîtes européennes.
1. Ce que disent les chiffres récents sur l’IA au travail
Plusieurs rapports majeurs publiés en 2024–2025 convergent :
- Eurobaromètre “Artificial Intelligence and the future of work” (2025) :
- 62 % des Européens voient positivement l’usage de l’IA et des robots au travail ;
- 70 % pensent que ça améliore la productivité ;
- en parallèle, beaucoup restent inquiets pour l’emploi, les inégalités et la surveillance.
Source : Eurobaromètre – Artificial Intelligence and the future of work.
- JRC (Commission européenne, 2025) :
- 30 % des travailleurs de l’UE utilisent déjà des outils d’IA ;
- l’usage est particulièrement élevé dans les secteurs du numérique, de la finance, du conseil, du marketing.
Source : Impact of digitalisation: 30% of EU workers use AI.
- World Economic Forum – Future of Jobs Report 2025 :
- 40 % des employeurs prévoient de réduire leurs effectifs là où l’IA peut automatiser des tâches ;
- mais l’IA et les technologies associées devraient créer 11 millions de nouveaux emplois tout en en supprimant 9 millions sur la période considérée ;
- les compétences les plus en croissance : IA & big data, cybersécurité, culture tech, pensée critique, créativité, capacité d’adaptation.
Sources : - Future of Jobs Report 2025
- Jobs of the future & skills
- Is AI closing the door on entry-level jobs?.
- OCDE – AI & future of work (2024–2025) :
- l’IA recompose les tâches plus qu’elle ne supprime des métiers complets ;
- les métiers hautement qualifiés (programmation, data, finance, management) sont plus exposés à l’IA que les métiers répétitifs purement physiques ;
- la demande se déplace vers un mix compétences techniques + compétences business + compétences sociales.
Sources : - How is AI changing the way workers perform their jobs and the skills they require?
- Artificial intelligence and the changing demand for skills in the labour market
- Who will be the workers most affected by AI?
- AI & Future of Work – OECD AI.
👉 Traduction :
on est déjà dans le futur du travail assisté par IA, pas en train de l’attendre.
La question est de savoir qui s’adapte et comment.
2. Qui est le plus exposé : devs, cadres, fonctions support… pas seulement les “petits jobs”
Un point clé des études récentes :
l’IA touche surtout des métiers qualifiés, pas seulement les tâches peu qualifiées.
2.1. Forte exposition des métiers qualifiés
Plusieurs travaux (OCDE, IZA, think-tanks européens) montrent que :
- les métiers les plus exposés à l’IA sont :
- développeurs, data, analystes financiers, juristes, consultants, cadres,
- fonctions support à forte composante “information / texte” (RH, admin, marketing, compta) ;
- l’IA automatise ou assiste une large part des tâches analytiques, rédactionnelles, d’édition de contenu, de reporting, de planification.
Exemple :
le papier Artificial Intelligence and the Future of Work: Evidence and Policy (IZA, 2025) conclut que l’IA affecte plus les travailleurs très diplômés et plus âgés que les technologies précédentes (robots industriels, logiciels classiques) qui ciblaient plutôt les emplois peu ou moyennement qualifiés.
Source : Egana-delSol, Artificial Intelligence and the Future of Work.
2.2. En Europe : risque de polarisation si on ne gère pas la transition
Un rapport du European Policy Centre alerte sur le fait que, sans stratégie dédiée, l’IA peut aggraver la polarisation du marché du travail européen :
- hausse de la demande pour les profils très qualifiés,
- pression à la baisse sur les emplois intermédiaires,
- précarisation de certains métiers de services.
Source : EPC – AI’s impact on Europe’s job market: a call for a Social Compact.
Les grandes lignes qui se dessinent :
- pas un “tsunami de chômage” immédiat,
- mais un risque sérieux de creusement des écarts entre ceux qui maîtrisent l’IA et les autres.
3. Comment l’IA recompose les tâches : déléguer, pas disparaître
Plus qu’une destruction massive d’emplois, l’IA provoque surtout une recomposition :
3.1. Ce que montrent les études OCDE et Commission
Les rapports de l’OCDE et de la Commission insistent sur :
- l’IA remplace surtout des fragments de tâches :
- rédaction de brouillons, résumés, fiches produit, notes ;
- préparation de slides, de supports clients ;
- premiers jets d’analyses data, de reporting, de business cases ;
- elle augmente certaines tâches :
- recherche d’information, veille, benchmark ;
- exploration de scénarios, brainstorming ;
- simulation, prototypage.
Source :
- OECD – How is AI changing the way workers perform their jobs and the skills they require?
- European Commission – Artificial Intelligence: economic impact, opportunities and challenges.
👉 En gros :
tu gardes le contrôle, la validation, le lien humain, mais tu délègues une partie du “sale boulot” à la machine.
3.2. “Super-agency” au travail : quand l’IA devient ton exosquelette
Un rapport McKinsey de 2025 parle de “superagency in the workplace” :
l’IA devient un exosquelette cognitif qui augmente les capacités des salariés : prise de décision, vitesse d’exécution, exploration d’options.
Source : McKinsey – Superagency in the workplace: empowering people to unlock AI’s full potential at work.
Les employés interrogés :
- utilisent déjà l’IA plus que ce que leurs managers imaginent ;
- sont 3 fois plus nombreux que les dirigeants à penser que l’IA va automatiser 30 % de leur travail d’ici un an ;
- veulent être formés plutôt que protégés de l’IA.
4. Quelles compétences deviennent critiques ?
Si on croise WEF, OCDE, Commission et cabinets :
4.1. Côté technique
Pas besoin d’être data scientist, mais certains fondamentaux deviennent difficiles à éviter :
- culture data & IA : comprendre ce que fait (et ne fait pas) un modèle ;
- prompting & orchestration : savoir utiliser efficacement les outils IA, les intégrer dans un workflow ;
- sécurité & confidentialité : savoir quoi ne pas mettre dans un chatbot ou un outil SaaS ;
- API & automatisation légère : no-code/low-code, scripts simples pour enchaîner les outils.
Les rapports WEF et OCDE rappellent que littératie numérique et culture tech montent très vite dans les top compétences demandées.
Sources :
- WEF – Future of Jobs Report 2025
- WEF – Jobs of the future & skills
- OECD – Artificial Intelligence and the Future of Skills.
4.2. Côté humain & business
Paradoxalement, plus l’IA progresse, plus le marché valorise :
- pensée critique & jugement : trier, valider, contredire la machine ;
- créativité & storytelling : transformer des brouillons IA en narrations qui touchent ;
- compétences relationnelles : vendre, négocier, embarquer, coacher ;
- compréhension métier (product, ops, finance, juridique, terrain) : savoir quoi demander à l’IA, dans quel contexte.
Le WEF met en avant creative thinking, analytical thinking, resilience, flexibility, curiosity comme compétences en plus forte hausse d’ici 2030.
Source : Future of Jobs Report 2025 – summary on skills.
5. Pour les entreprises : trois gros chantiers
Côté boîtes, les rapports convergent sur 3 priorités.
5.1. Stratégie IA + social compacte
Le European Policy Centre parle de la nécessité d’un “AI Social Compact” européen :
adopter l’IA oui, mais en combinant :
- consultation des partenaires sociaux,
- mécanismes d’accompagnement des transitions (mobilité interne, formation, requalification),
- règles claires sur l’usage des données et la surveillance.
Source : AI’s impact on Europe’s job market – EPC.
En parallèle, un avis du Comité économique et social européen (EESC) insiste sur :
- la transparence des décisions automatisées ;
- le droit à l’explication ;
- l’importance de ne pas laisser l’IA dégrader les conditions de travail (surveillance intrusive, cadences).
Source : EESC – Impact of AI on the labour market and working conditions.
5.2. Refonte des job descriptions & des process
Les organisations doivent accepter que :
- les fiches de poste figées ne reflètent plus la réalité ;
- certains rôles vont se transformer en “pilotes d’IA” (ops, support, marketing, juridique, etc.) ;
- les process doivent être revus pour intégrer :
- les limites des modèles (hallucinations, biais, sécurité),
- le besoin de double validation humaine sur les décisions sensibles.
5.3. Formation & apprentissage continu
Les rapports McKinsey, LexisNexis, OCDE insistent tous sur la même chose :
Sans stratégie de formation ciblée, l’IA élargit les écarts entre insiders et outsiders.
Exemples de bonnes pratiques :
- programmes internes de formation IA pour tous (non-tech inclus) ;
- labs ou communautés internes où les employés partagent leurs prompts, leurs outils, leurs scripts ;
- partenariats avec écoles, bootcamps, universités pour créer des parcours hybrides.
Sources :
6. Pour toi, perso : comment rester “employable” à l’ère de l’IA ?
Tu ne contrôles ni l’AI Act ni les plans stratégiques du WEF. Par contre, tu peux travailler sur trois axes très concrets.
6.1. Passer de “consommateur d’IA” à “opérateur avancé”
- Tester plusieurs outils (chatbots, copilotes, outils spécialisés)
- Formaliser tes propres playbooks / prompts réutilisables
- Connecter l’IA à tes outils du quotidien (tableurs, IDE, CRM, Notion, etc.)
- Apprendre un peu de no-code ou scripting pour automatiser les tâches récurrentes
L’idée : que ton CV puisse dire quelque chose du type :
“J’ai réduit de 30 % le temps de traitement de X en automatisant Y avec des outils IA”
… et pas juste “je sais utiliser ChatGPT”.
6.2. Muscler le combo “métier + tech + soft skills”
Tu peux te poser trois questions simples :
- Métier :
- est-ce que je comprends bien la chaîne de valeur de mon job / secteur ?
- est-ce que je sais expliquer clairement un problème métier à quelqu’un d’extérieur (ou à une IA) ?
- Tech / data / IA :
- est-ce que je sais utiliser au moins un outil IA de manière avancée dans mon champ ?
- est-ce que je comprends les risques (hallucinations, confidentialité, biais) ?
- Soft skills :
- est-ce que je sais vendre, expliquer, convaincre autour d’un projet IA ?
- est-ce que je suis capable de challenger un résultat IA devant un client, un manager, un régulateur ?
6.3. Se préparer à plusieurs scénarios
Les rapports WEF, OCDE, Commission européenne ne sont pas des oracles, mais ils dessinent quelques scénarios :
- certains métiers vont augmenter (AI ops, AI product, data, cybersécurité, métiers “augmentés”) ;
- certains vont se reconfigurer (juridique, finance, RH, marketing, support…) ;
- certains vont devenir plus précaires ou se réduire.
Plutôt que de chercher le “job immunisé”, tu peux viser :
- des compétences transférables (analyse, gestion de projet, relation client, écriture, design) ;
- une capacité à apprendre vite (et à documenter ce que tu apprends) ;
- un profil capable de travailler avec l’IA, pas de la subir.
7. En résumé
Ce que racontent les études sérieuses de 2024–2025, c’est moins un scénario :
“l’IA détruit tous les emplois”
que quelque chose de plus nuancé :
- l’IA recompose les tâches et déplace la valeur vers :
- ceux qui savent l’utiliser intelligemment,
- ceux qui comprennent leur métier et celui des autres,
- ceux qui savent gérer la transition (managers, RH, éducateurs, décideurs) ;
- elle peut creuser les inégalités si on laisse faire sans cadre (formation, politique sociale, protection des travailleurs) ;
- elle peut aussi augmenter la qualité du travail quand elle enlève le plus répétitif et redonne du temps pour le relationnel, la créativité, le sens.
Au fond, la vraie question pour les prochaines années n’est pas :
“Est-ce que l’IA va prendre mon job ?”
mais plutôt :
“Dans mon métier, qui va maîtriser l’IA le premier : moi… ou quelqu’un d’autre ?”
Sources
- Commission européenne – Artificial Intelligence: economic impact, opportunities and challenges
https://economy-finance.ec.europa.eu/publications/artificial-intelligence-economic-impact-opportunities-challenges-implications-policy_en - JRC – Impact of digitalisation: 30% of EU workers use AI (2025)
https://joint-research-centre.ec.europa.eu/jrc-news-and-updates/impact-digitalisation-30-eu-workers-use-ai-2025-10-21_en - Eurobarometer – Artificial Intelligence and the future of work (2025)
https://europa.eu/eurobarometer/surveys/detail/3222 - World Economic Forum – Future of Jobs Report 2025
https://www.weforum.org/publications/the-future-of-jobs-report-2025/
https://www.weforum.org/stories/2025/01/future-of-jobs-report-2025-jobs-of-the-future-and-the-skills-you-need-to-get-them/
https://www.weforum.org/stories/2025/04/ai-jobs-international-workers-day/ - OECD – How is AI changing the way workers perform their jobs and the skills they require? (2024)
https://www.oecd.org/content/dam/oecd/en/publications/reports/2024/11/how-is-ai-changing-the-way-workers-perform-their-jobs-and-the-skills-they-require_842aa075/8dc62c72-en.pdf - OECD – Artificial intelligence and the changing demand for skills in the labour market (2024)
https://www.oecd.org/content/dam/oecd/en/publications/reports/2024/04/artificial-intelligence-and-the-changing-demand-for-skills-in-the-labour-market_861a23ea/88684e36-en.pdf - OECD – Who will be the workers most affected by AI? (2024)
https://www.oecd.org/content/dam/oecd/en/publications/reports/2024/10/who-will-be-the-workers-most-affected-by-ai_fb7fcccd/14dc6f89-en.pdf - OECD – Artificial Intelligence and the Future of Skills
https://www.oecd.org/en/about/projects/artificial-intelligence-and-future-of-skills.html - EPC – AI’s impact on Europe’s job market: a call for a Social Compact (2025)
https://www.epc.eu/publication/ais-impact-on-europes-job-market-a-call-for-a-social-compact/ - EESC – Impact of AI on the labour market and working conditions (2024)
https://irshare.eu/wp-content/uploads/2025/02/EESC-2024-01024-00-01-AC-TRA-EN.pdf - McKinsey – Superagency in the workplace: empowering people to unlock AI’s full potential at work (2025)
https://www.mckinsey.com/capabilities/tech-and-ai/our-insights/superagency-in-the-workplace-empowering-people-to-unlock-ais-full-potential-at-work - LexisNexis – Future of Work Report 2024
https://www.lexisnexis.com/blogs/cfs-file/__key/telligent-evolution-components-attachments/01-30-00-00-00-00-16-15/UK_2D00_LN2024FutureofWorkReport.pdf - AI & travail – ressources complémentaires